Chez Luc (brèves de comptoir)

"Chez Luc", le bar où l'on peut venir bavarder ensemble à propos des choses qui fâchent, ou qui réjouissent, ou qui émeuvent ... Je vis près d'Avignon, en Provence. J'ai trois bons copains qui viennent au bar pour nous raconter la dernière du jour : Jack, de Belinto en Provence, Patrick, d'Audierne en Bretagne, et Philippe, de Piriac en Bretagne du sud (qu'on appelle aussi "Pays de Loire").

Les auteurs (le patron et les habitués)

Photo Luc

Luc, Avignon

Photo Padraig

Padraig, Audierne

Photo Jack

Jack, Belinto

Photo Philippe

Philippe, Piriac

mercredi 21 février 2007

Les décalcomanies



Ca se passait en octobre 1958. J'avais dix ans. J'habitais à Paris, près du Champ de Mars, et j'allais tous les jours au lycée Buffon où j'étais en 6ème. Pour aller au lycée, j'allais à pied le long de l'avenue Duquesne, puis je prenais l'avenue de Breteuil jusqu'au bout, où je passais sous le métro suspendu, là où il y avait une fontaine Wallace. Je traversais, et là, il y avait un petit magasin de friandises où on vendait des pistolets à patate et des boules de coco. Quand j'avais un peu d'argent de poche, je m'achetais des trucs pour la récré.

Et puis, l'après midi, c'était le trajet du retour.

Cet après-midi là, il faisait beau. C'était une belle journée d'automne. Je remontais l'avenue de Breteuil du côté gauche. Il n'y avait presque personne, l'avenue était déserte. En passant devant l'avenue de Saxe, je pensais à mon copain qui y habitait. C'était un bricoleur pas possible. Il m'avait épaté en me montrant un réveil-matin qu'il avait entièrement démonté et remonté. Mais apparemment il avait dû louper un truc parce que le réveil marchait très bien, sauf que les aiguilles tournaient à l'envers. Il avait donc dû refaire un cadran en carton sur lequel il avait dessiné les chiffres dans l'autre sens : le 9 à droite, et le 3 à gauche ...

J'avançais sur le trottoir en lançant mon cartable très lourdement chargé de livres de cours à un mètre devant moi. Il glissait sur le trottoir, mais comme ça je pouvais marcher un peu les mains libres sans le poids de ce cartable. Puis, en arrivant dessus, je le rattrapais et je le lançais à nouveau loin devant. Il faut dire qu'à l'époque, on fabriquait des cartables en cuir super costaud ...

Je me livrais à mon petit manège quand je me rendis compte qu'un taxi roulait lentement à ma hauteur, un peu en arrière de moi. Je faisais celui qui ne s'était aperçu de rien. Puis, le taxi a avancé un peu plus loin, et il s'est garé le long du trottoir. Le conducteur est descendu du taxi, et il est venu vers moi, un rouleau à la main. Maman m'avait bien dit de me méfier des inconnus, alors je m'arrêtai, mon cartabe à la main, en attendant la suite.

Cet homme avait un regard très doux. Alors il s'est approché de moi, et il m'a tendu le rouleau de papier cartonné en me disant : "Tiens, ce sont des décalcomanies. Je voulais les offrir au petit garçon que je n'ai jamais eu. Elles sont pour toi."

Et puis il m'a regardé, sans rien dire d'autre, avec des yeux humides. J'ai juste dit "Merci, monsieur." Et alors il s'est retourné d'un mouvement brusque, il est remonté dans son taxi et il est parti. J'ai alors déroulé les rouleaux de papier fort. C'était des décalcomanies magnifiques, les plus belles que j'aie jamais vues.

Je n'ai jamais revu cet homme, mais je me souviens encore aujourd'hui de cet instant immobile, pendant un bel après midi de l'automne 1958, quand le temps s'est arrêté, avenue de Breteuil à Paris.

Crédit illustration : Robert Boujon

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2 Comments:

Blogger Jack said...

Automne 1958, après les événements donc. Le général De Gaule venait de revenir au pouvoir, la Vème république naissait : mais à 10 ans on s’intéresse plus aux billes et aux images qu’à la politique.
Même si précisément je me souviens de Juin 58 l’appel des insurgés d’Alger et de l’effervescence qui régnait dans notre petite ville de le Lorraine, tout le monde était derrière le Général.
Lorsqu’on a vécu ces moments on sait que l’on peut facilement basculer de la démocratie, dans la dictature militaire.
En 58 j’avais 13 ans : je commençai à m’intéresser à ce qui poussait sous la blouse des filles et un peu moins aux billes...
Jouais-tu aux billes sur le champ de Mars, Luc ?

mercredi, 21 février, 2007  
Blogger Luc said...

@ Jack : Non, au champ de Mars, je ne jouais pas aux billes. En fait, je faisais des barrages avec l'eau qui s'écoulait dans les allées du champ de Mars après la pluie. Tu peux me voir ici avec mon cousin Xavier me livrer à cette très divertissante activité !

mercredi, 21 février, 2007  

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