Matthieu Ricard nous donne des nouvelles du Tibet
Lundi matin, sur France Inter, Matthieu Ricard était interrogé par Nicolas Demorand. J'ai téléchargé le podcast, et je vous retranscris ci-dessous verbatim ce qu'a dit Matthieu Ricard, qui est l'interprète français du Dalaï Lama :
Nicolas Demorand : Matthieu Ricard, comment voyez-vous toute cette agitation à la fois militante, médiatique et politique autour de la Flamme Olympique aujourd'hui à Paris ? Est-ce que vous vous dites que c'est bon pour la cause qui est la vôtre ?
Matthieu Ricard : Eh bien, c'est bon, vous savez ... c'est surtout qu'il y a plus de deux cent personnes qui ont perdu la vie au Tibet pour essayer de faire entendre leur voix. Et leur voix, c'était si "un Monde un Rêve", qui est le slogan olympique, se passe sous les applaudissements en général et que tout le monde se félicite, et que cette extravaganza, tout ça, passe comme une lettre à la poste, à ce moment-là, le Tibet sera oublié pour toujours.
Donc, c'est un geste de désespoir, mais aussi qui est né d'une accumulation de choses :
- D'abord cinquante ans d'oppression.
- Ensuite plus récemment, de très nombreux tibétains ont perdu leur travail à la suite de l'introduction de la ligne de chemin de fer qui amène des milliers de travailleurs chinois presque tous les jours.
- Intensification de la sédentarisation forcée des nomades.
- Exploitation des ressources minières avec uniquement des travailleurs chinois.
- La "rééducation patriotique" dans les monastères où on les oblige à piétiner la photo du Dalaï Lama.
Toutes sortes de choses comme ça.
Et surtout le déni total des libertés minimales garanties par les Droits de l'Homme : liberté d'expression, liberté de vivre en apprenant leur langue dans leurs écoles, et non pas être forcés que le tibétain soit une deuxième langue, etc, etc ...
Nicolas Demorand : Matthieu Ricard, une dépêche indique ce matin que Pékin qualifie de totalement, totalement faux le bilan des morts tibétains en exil. "La liste est totalement fausse", indique donc l'agence officielle Chine Nouvelle, "et vise à dissimuler la violence organisée par la clique du Dalaï Lama".
Matthieu Ricard : Oui, alors, si je peux me permettre, c'est très facile à dire. Simplement, quand vous avez ... Moi je viens de l'Inde et du Népal. Euh, qu'est-ce que c'est qu'un témoignage direct ? Quand vous avez une famille, qui, au prix de très grands dangers, appelle d'autres membres de sa famille en Inde ou au Népal sur un téléphone portable, on sent qu'il y a l'anxiété dans la voix, et qui dit "Voilà, mon oncle, mon frère ont été tués." Six personnes ont été arrêtées dans une famille. J'ai connu un tailleur qui est près de chez nous : six personnes dans sa famille, dont une femme de 35 ans, mère célibataire. Qu'on a les noms de 90 personnes mortes. Qu'on sait qu'il y a eu 65 cadavres identifiés dans telle région de Lhassa ...
Alors, évidement, les télévisions ont montré quoi ? Les images chinoises dans le quartier central, où pendant une journée il y avait dix mille policiers massés non loin de là qui ont laissé quelques événements très regrettables. Que les tibétains aient mis le feu à des boutiques et qu'il y ait eu six ou sept personnes chinoises qui soient mortes, c'est éminemment regrettable. Le Dalaï Lama l'a dénoncé, toute forme de violence. Mais dans d'autres quartiers où il n'y avait ni observateurs occidentaux, et certainement pas la télévision chinoise, le quartier de Karma Dongsa, le quartier de la prison de Rachti, la police a tiré à balles réelles, et il y a eu plus de 100 morts entre les journées du 14 et du 15 mars.
Nicolas Demorand : Vous avez des informations sur ce qui se passe en ce moment même, aujourd'hui, au Tibet ?
Matthieu Ricard : Exactement. Nous avons des coups de téléphones constant qui viennent au Népal de familles qui disent "On a été embarqués, il y a des rafles. Il y a plusieurs milliers de personnes qui ont été arrêtées, qui sont emmenées dans des camions vers des destinations inconnues."
Et ce n'est pas seulement dans la région de Lhassa. C'est la seule fois depuis vingt ans qu'il y a des troubles dans l'ensemble du Tibet. Et pour vous dire, une région que je connais bien, nous avons reçu des téléphones, et ça a été confirmé par de multiple coups de téléphone : Dans la province du Sichuan, peuplée par des tibétains, la ville de Gatse, la police a envahi un monastère, a piétiné les photos du Dalaï Lama et a arrêté un vieux moine de soixante quatorze ans. Il a été arrêté. Le lendemain, 700 personnes, et il faut dire à quel point c'est risqué de manifester dans ces endroits-là, se sont massés devant le siège local du gouvernement, vers huit heures du matin. La police les a sommé de déguerpir. Et au bout de vingt minutes, alors que la foule ne se dispersait pas, ils ont simplement tiré sur la foule. Il y a eu quinze morts. On a les noms de six femmes, d'un enfant, de trois moines, et il y a plusieurs personnes aussi qui n'ont pas été identifiées, qui ont été tuées, tout simplement.
Vous savez, quand quelqu'un vous appelle au téléphone, pour vous donner des nouvelles, ils n'appellent pas un média, ils n'appellent pas un organisme de propagande, ils donnent des nouvelles à leur famille, pour qu'on fasse des prières pour ceux qui sont morts, et il n'y a aucune raison qu'ils racontent des blagues à leur propre famille.
Voilà ce qu'a déclaré Matthieu Ricard hier matin sur France Inter.
Et en plus, quand Matthieu Ricard déclare qu'il regrette que des tibétains aient mis le feu à des boutique, c'est même pas sûr que les tibétains non-violents soient les vrais responsables. En effet tout indique que les troubles de Lhassa ont été orchestrées par le régime communiste chinois avec des agitateurs chinois déguisés en tibétains.
J'espère que San Francisco et Sydney seront à la hauteur de Londres et Paris ...
Pour en savoir plus :
1. Matthieu Ricard (Wikipédia)
2. Nouvelles de Lhassa de Matthieu Ricard (Altermonde-sans-frontiere)
3. Nouvelles de Lhassa et Lithang, 15 mars (Tibet-info.net)
4. China Regime Implicated in Staging Violence in Tibet Protest (Status of Chinese People)
5. A New Tibet (TIME photo essay)
6. A propos du boycott des J.O. de Pékin (Chez Luc)
Crédit photo : Project Respite
Libellés : Free Tibet
14 Comments:
Merci Luc.
Bon, ben voilà. J'ai le vague sentiment que les jeux 2008 sont un brin compromis, ne croyez-vous pas ?
Est-ce bien ce que nous voulions ?
Et est-ce que les tibétains vont s'en trouver mieux ?
Donc, voyons voir. En 2012, c'est Londres... Il va falloir patienter jusque là...
C'est surtout qu'à la clôture des JO il ne faudra pas oublier le Tibet et l'immense majorité du peuple chinois en souffrance
Aujourd'hui, les Népalais sont aux urnes pour mettre fin à une Monarchie. Mais nous, pour le Tibet, on veut mettre en place une Théocratie.
Vachement logique, tout ça !
Au fait, quand le Dalaï Lama sera revenu aux affaires, que deviendra ce Matthieu Ricard ? Sera-t-il élevé dans la hiérarchie religio-gouvernementale au rang de grand prêtre chargé des affaires étrangères ?
Je crois rêver ! Cette histoire est un vrai délire mystico-fantasmagorique ! Je pense vraiment que le tibétain de la rue doit observer tout ça avec la plus grande stupéfaction !
En fait, notre réaction est sans doute un exutoire au besoin de mysticisme qui est enfoui en nous. Le Catholicisme ne fait plus recette, l'Islam n'a pas bonne presse, alors le Bouddhisme avec un Dalaï Lama tout bariolé tombe à pic. Et en plus, il lévite ! Super !
Matthieu Ricard précise les informations données sur France-Inter.
A lire : Ce qui se passe vraiment au Tibet (Le Figaro Magazine)
@ Patrick : "Mettre en place une théocratie ...", "Et en plus, il lévite !"
Hé hé hé .. j'ai compris : tu es possédé !
Alors, je te lance un cri : "Jean-Luc Mélanchon, sors de ce corps !"
;-)
Ah, ben alors, là, merci Luc, je découvre que je ne suis pas seul.
Ce Jean-Luc Mélenchon est EXACTEMENT sur la même ligne de pensée que moi. Nous sommes parfaitement en phase. Je n'ai rien à ajouter à ses dires, rien à retirer. Jean-Luc, je t'aime !
Ca m'amuse beaucoup, ces gens qui disent qu'ils veulent l'autonomie, mais surtout pas l'indépendance. Bref, ils veulent bien recevoir de l'argent, mais ils veulent le dépenser eux-mêmes. C'est un peu le beurre et l'argent du beurre.
Ben non. S'ils veulent l'indépendance, il n'y a aucune raison au monde pour qu'ils continuent de recevoir des subsides de l'ancien état de tutelle. Et c'est tout aussi vrai pour le statut d'autonomie.
On retrouve ça en polynésie. Il n'y a que deux partis : les autonomistes et les indépendantistes. Mais en réalité, ils veulent tous deux la même chose : décider librement de leur sort, de leur lois, de leurs impots, etc. tout en continuant de recevoir de l'argent de la métropole.
Ca risque de se finir par le départ de la France et basta pour les subsides. Et alors ces îles de Polynésie deviendront aussi pauvres que les îles de l'archipel des Comores à qui nous avons accordé l'indépendance en 1975...
Donc, pour moi, le Tibet autonome mais pas indépendant, c'est une vue de l'esprit !
@ Patrick : Je ne pense pas que les Tibétains aient besoin de "subsides". Ils s'en sont bien passé jusqu'à ce que la Chine les envahissent avec leurs soldats et leurs canons ...
Il semble bien que l'histoire du Tibet et de la Chine et de la Mongolie soit un longue successions d'envahissements, de libérations, de rapprochements et de séparations depuis plus de 1000 ans. Le Tibet ayant auto-proclamé son indépendance de la Chine à l'occasion de la chute de la dynastie Qing en 1911, ce n'est que 39 ans plus tard, en 1950, que les communistes de Mao le reprennent (et non en 1959) - en laissant le Dalaï Lama en place. En 1959, les chinois mettent fin au servage des tibétains par le clergé du Dalaï Lama, ce dernier s'exile alors à l'étranger.
Jusqu'en 1959, la population tibétaine était maintenue dans un état d'illétrisme et d'inculture quasi totale et était entièrement sous influence du clergé (il y a un nom pour ça, c'est "obscurantisme").
Si les tibétains souhaitent revenir à cet état, libre à eux. Ca ne me gène pas. Néanmoins, je voudrais être sûr que c'est bien ça que les tibétains veulent - et que ce n'est pas simplement le souhait du clergé bouddhiste et du Dalaï Lama...
@ Patrick : "obscurantisme" ...
C'est vrai que, sous le joug communiste, les tibétains ont eu droit à un régime nettement plus "éclairé" ! ...
Il semble qu'avant 1950, le seul enseignement dispensé au Tibet était l'enseignement strictement religieux dispensé par les moines. Le taux d'alphabétisation dans la population non religieuse était proche de zéro.
Actuellement, selon les sources, les tibétains sont alphabétisés à hauteur de 50% (chiffres occidentaux sans doute rabaissés) et 80% (chiffres chinois sans doute embellis). Bien entendu, on constate une meilleure alphabétisation des citadins par rapport aux montagnards...
En comparaison, au Bouthan voisin, le taux d'alphabétisation est estimé à 20%.
On s'accorde généralement à dire que la lutte contre l'obscurantisme passe par l'éducation et l'alphabétisation. Ca semble bien être en cours au Tibet.
Les chinois nous disent qu'aujourd'hui, 95,5 % des enfants en âge de scolarité au Tibet vont à l'école primaire. Le taux d'inscription au deuxième cycle secondaire est de 30,3 %, et celui à l'enseignement supérieur, de 13,2 %.
La maitrise de la langue tibétaine est requise pour l'école puisque les cours y sont dispensés dans cette langue. Les enfants tibétains commencent à apprendre le chinois à partir de la première année de l'école primaire, et apprenent l'anglais à partir de la troisième année.
Voilà pour la lutte contre l'obscurantisme.
Maintenant, qu'on aime ou qu'on aime pas le régime communiste, c'est une autre affaire !
Ca me fait penser que la France a été beaucoup plus radicale avec les Bretons, puisqu'encore dans les années '50, le Breton était INTERDIT à l'école, les élèves recevant des punitions si le maître les surprenait à parler breton entre eux !
Cette politique un peu rude a quand même permis (avec un peu de retard quand même) à la Bretagne de rejoindre les autres régions sur le plan économique. Et dès les années '60, certains villages de Bretagne détenaient le record en France de la proportion de bacheliers - à une époque où le bac avait encore de la valeur...
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